20-11-2011
Clèves, de Marie Darrieussecq
Notas de leitura
Mais um romance sobre sexo em França, que promete dar que falar. “Clèves” descreve a iniciação sexual de uma adolescente e tem três capítulos: Les avoir (as regras), Le faire, Le refaire. A única semelhança com o romance “La Princesse de Clèves” (1678), de Madame de Lafayette, é que ambos tratam das relações entre homens e mulheres. O livro está bem escrito, a linguagem é literária, embora, segundo alguns, exagere no uso do calão. Muito mais agradável que as descrições gráficas de Catherine Millet. Depois do sexo cru desta, temos agora o sexo literário de Marie Darrieussecq. Note-se, porém, que, tal como o livro de C. Millet, também este nada tem de erótico. Em Fevereiro de 2006, o romance “La Princesse de Clèves” ganhou nova notoriedade quando o Presidente Sarkozy chamou “idiota ou sádico” à pessoa que incluiu uma pergunta sobre o romance num concurso para funções públicas. Em 2008, Sarkozy reincidiu. Numa reunião de propaganda, disse ele (existe o vídeo): “Ter feito trabalho de beneficência, deveria ser uma experiência a ser tida em conta em concursos administrativos, porque afinal isso vale tanto como saber de cor La Princesse de Clèves”. Depois de um pequeno silêncio, acrescentou: « Enfin… j'ai rien contre, mais enfin, mais enfin… c'est parce que j'avais beaucoup souffert sur elle. » Subiram as vendas do livro e os opositores de Sarkozy passaram a pôr na lapela um pin com os dizeres: “Je lis La Princesse de Clèves”. |
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29-8-2011
Clèves, de Marie Darrieussecq
Par Camille Thomine
Avec Clèves, Marie Darrieussecq raconte sans détours l'expérience de la puberté d'une jeune fille.
Immensité polaire et désolée de White , errances spirituelles de Bref séjour chez les vivants, spectres rémanents de Naissance des fantômes ou de Tom est mort et, même, dénuement de l’exil ovidien dans Tristes Pontiques ; voilà plusieurs années que l’imaginaire de Marie Darrieussecq ondule autour d’absences, d’auras, de vides. Mais avec Clèves sa plume acérée remord aux plis palpables et chauds de la chair, ces replis tantôt roses, fermes, appétissants, tantôt poisseux, moites et fétides, qui obstruaient déjà chaque page de Truismes, en 1996.
C’est encore l’histoire d’une métamorphose : non celle d’une femme en truie, mais celle d’une petite fille en femme, Solange, au fil de ces années cruciales et délicates qui courent de la prépuberté au passage du bac. Premières règles, premier baiser, première fois ; ces mains dont on ne sait plus que faire et cette intarissable voix qui résonne dans la tête : «Est-il possible que les femmes aient ça et que tout le monde fasse comme si de rien n’était ?» ; «Est-ce que ça se voit quand on l’a fait ?» ; «Il doit la trouver bête» ; «Il faudrait qu’elle dise quelque chose» ; «Est-ce que les gens la regardent ?»
Solange, petite souillon doublée d’un ange, déjà avide et encore innocente, toujours pucelle et pourtant... Une «petite bouée dans le déluge», ballottée entre un père extraverti, une mère insomniaque et cet étrange voisin qui prend tellement à coeur son rôle de nourrice. A priori, ce Clèves-là – le nom du village où grandit la fillette – n’a pas grand-chose à voir avec celui de la princesse. Sauf s’il s’agit d’une princesse inversée : la crudité des mots en place des bienséances et la lascivité en place du renoncement... Un tel titre, bien sûr, ne doit rien au hasard ; a fortiori chez Darrieussecq, qui accorde tant de soin aux «seuils» de ses romans : même confusion des sentiments, même obsession du regard, même règne du faux-semblant que chez Mme de La Fayette. Même finesse dans l’analyse, surtout, à commencer par cette façon dont la romancière intériorise l’écoulement du temps. Et elle délivre ici la parfaite mesure du temps adolescent. Ce temps segmenté de l’urgence, égrené par étapes, comme un compte à rebours – «ça y est, ça va arriver [...] elle va sortir avec un garçon» ; «ça se passe en ce moment même. Elle est en train de faire ça»... –, et capricieux aussi : dilaté à l’excès dans l’attente d’un coup de fil et « compact, gorgé, exaspéré » dans l’emballement du désir.
Car le voyage intérieur ne se limite pas aux seuls soubresauts de la pensée. Rarement le style de «défricheuse» de Marie Darrieussecq aura trouvé meilleur terrain d’auscultation que ce corps en éveil, cette chair palpitante, frôlée, frottée ou malmenée, explorée du dehors et du dedans par chacun de ses pores et orifices. Ce sont ici les frémissements mêmes de la peau, les afflux du sang et du sperme, qui impriment au roman son rythme pulsatile. Dans le lacis des très courts paragraphes, des impressions s’imbriquent en un millefeuille d’images fugaces et de phrases obsédantes. Il y a des réminiscences de prières, des refrains de chansons, des définitions du Nouveau Larousse – pénis, vulve, orgasme... – et des bribes de dialogues, de romans ou d’histoires salaces, des racontars et des dictons. Qu’il ne faut pas «se baigner quand on les a», qu’il faut «le faire vraiment pour que les seins poussent, qu’un homme peut violemment posséder une femme»... Autant d’appendices de langage, appris par coeur ou pris au vol, que Solange tourne et retourne, frictionne en tous sens comme pour voir ce que ça fait ; ce que la langue dit de l’expérience, et vice versa. Et l’on reconnaît bien ici la signature de Darrieussecq, qui avouait dans les premières pages du Bébé une forme d’amitié pour les lieux communs, ces «pierres» que l’on soulève «pour voir, par-dessous», capables d’énoncer, «malgré l’usure», une part de réalité.
«Dire le non-dit : l’écriture est ce projet», affirmait alors la romancière. Et parce qu’il fait voler en éclats les tabous, l’afféterie et les raccourcis, c’est bien vers ce projet que tend son roman Clèves .
9 November 2011
A minor problem
Henriette Korthals Altes
Marie Darrieussecq
CLÈVES
344pp. POL. 19euros
978 2 8180 1397 7
Marie Darrieussecq’s work has often been associated with the agonies of absence, loss and exile – from Naissance des fantômes (2001) to Tom est mort (2007) and Tristes Pontiques (2009), her translation of Ovid’s Tristia – as she relentlessly tracks the reactions of the body and the mind to what they cannot accept. She is also very much a novelist of the flesh, charting its sensations, joys and pains. Her bestseller Truismes (1996) is a prime example, as is Le Bébé (2004), which, written in defiance of Simone de Beauvoir’s contention that motherhood and the intellectual demands of writing are incompatible, records maternity and the development of her own baby.
Darrieussecq’s new novel Clèves broaches another crucial metamorphic stage of life: puberty. It tells of Solange, an adolescent living in Clèves, a small Basque village, during the 1980s, who is traversing the awkward age between thirteen and fifteen when she discovers sexuality and dreams about the perfect husband, while still holding on to her teddy bear. Organized in three sections – “Les avoir”, “Le faire” and “Le refaire” – the text revolves around the hesitations, dilemmas and misunderstandings that a first sexual encounter represents. Narrative suspense is mounted around the seemingly trite question of who will eventually lead her through this transformation. Will it be Terry, the English exchange student, or Arnaud Lemoine, an older boy about to leave and study in Bordeaux? Life is what happens while you make other plans: very much so for Solange, for whom things go awry. What interests Darrieussecq is not really the psychology of coming of age. Instead, she explores how the codes surrounding what is often supposed to mark entry into adulthood are transmitted from one generation to the next, through clichés, sayings conveyed in chauvinistic jokes and the expectations of mothers who confused sexual and emotional liberation and whose feminist dreams did not come to fruition.
Like Emma Bovary, Solange wants to understand the meaning of the words she hears – passion, bliss, orgasm – and what practical application or equivalent they may have in her daily life and her own somewhat cumbersome body. Consulting her dictionary, she ends up lost in a labyrinth of entries that send her back and forth between a string of incomprehensible physiological terms, while she wonders, when reading Maupassant’s Une Vie, what the verb posséder means in the expression “il la posséda violemment”. Darrieussecq highlights how adolescents confuse love and sex, to comic or tragic effect. Her graphic writing recalls not only the awkwardness of discovering that sexuality is both an intimate, spiritual, codified practice and a physiological affair, but also the strangeness of discovering that bodies respond and react to words, fantasies and dreams.
Solange’s one obsession is with losing her virginity, as this holds the promise of entering the safe world of adulthood. Her path towards self-discovery is chaotic, at times nearly destructive. Darrieussecq explores the uncertain notion of consent, through Solange’s deep-rooted insecurity about what is right and wrong. While still a minor, she has a fleeting relationship with her guardian, Monsieur Bihotz, who looks after her while her parents are going through a difficult divorce. He is an adult, but also an adolescent of sorts, as he lived with his mother until her (recent) death. Solange is no Lolita. Yet she comes out of this experience relatively unscathed, the victim being Bihotz, who attempts suicide after she leaves him.
More generally, the novel asks to what extent the adolescent generation of the mid-1980s was lured into sexual liberation by parents whose lives did not live up to the promises of 1968. In that respect, the title’s reference to Madame de Lafayette’s Princesse de Clèves is misleading. Clèves notoriously refused to give in to her desire for Nemours, opting for convent life and thus protecting herself from the complexities of adult sexuality. Against this backdrop, questions of consent, freedom and alienation emerge as all the more complex: which is a form of self-imposed violence, Clèves’s categorical refusal or Solange’s availability?
The power relations at play in the sexual encounters described are mirrored in Clèves’s small rural community. The lycée is where social classes both mix and clash, and Darrieussecq’s realism discreetly records the social climate during François Mitterrand’s first term as President: the persistent racism and chauvinism towards the new waves of immigrants; the opposition between the students whose parents had access to education and those who didn’t, as well as between the left-wingers who welcomed the first Socialist government since the Second World War and those who prepared to flee to the United States, fearing a Communist invasion.
Occasionally crude and cruel, the novel is also full of wit, especially when it portrays the self-righteous idealism of a teenage generation for whom Sartre’s existentialism, the Cure’s lyrics, Michael Jackson and Georges Brassens held equal authority; or the odd mixture of pseudo-feminism, self-obsession and blunt pragmatism displayed by young girls discussing Anne Frank’s diary. Was she not the first woman to write about having periods, asks one. No, she wrote about concentration camps, corrects another. No, that is when the diary stops, cuts in a third. Darrieussecq has drawn on her own teenage tape-recorded diaries, which, as she rediscovered them, were both embarrassingly trite and funny. This makes her both unforgiving and empathetic towards Solange and her constellation of friends. It is this mixture which makes the novel both compelling and perplexing as it asks uncomfortable questions and gives no easy answers.
Henriette Korthals Altes teaches Modern French Literature at the University of Oxford.
Par Marianne Payot (L'Express), publié le 22/08/2011 à 11:30
L'apprentissage sexuel d'adolescents des années 1980. Marie Darrieussecq joue la provoc avec ce récit cru. Et détone.
Quand la princesse s'appelle Solange, que le bal se transforme en kermesse, les carrosses en Alpine Renault et les jeunes filles en sauteuses patentées, l'on comprend que Marie Darrieussecq, grande admiratrice de La Princesse de Clèves (elle en a préfacé une édition pour GF), joue l'énorme contre-pied. Guère de préciosité dans ce Clèves ni de délicats sentiments amoureux, mais du cru, du "couillu", voire du glauque. Aucun doute, l'auteure de Truismes (1996) aime la provoc. Et avouons-le tout net : cet éveil à la sexualité d'adolescents du Pays basque intérieur au début des années 1980 nous ravit.
Le découpage en trois parties du roman, "Les avoir" (les règles), "Le faire" (l'amour), "Le refaire" (toujours l'amour, quoique l'expression semble peu appropriée), donne le ton. Dès leurs 10 ans, Solange, Rose, Peggy, Nathalie, Raphaël, Christian, etc. ne pensent qu'à ça. D'été en été, les voilà en plein apprentissage. Menstruation, masturbation, accouplement, enculade, Darrieussecq ne se paie pas de mots. Une bite est une bite, comme dirait le père de Solange, faux pilote d'Air Inter et vrai coureur de jupons. Malgré le gardiennage de M. Bihotz, une "nounou" pas comme les autres, Solange ne perd pas de temps. Premier baiser mouillé avec un pompier au Milord, "la" boîte de nuit de Clèves, première pipe à Arnaud (un passage d'antho-logie) lors d'une boum au château, et le reste à l'avenant...
Certains n'apprécieront guère la crudité du vocabulaire de Mme Darrieussecq, mais il leur sera difficile de ne pas saluer la justesse d'analyse de la romancière de Bassussarry. Rarement les rêves, les émois et les mœurs d'une bande de jeunes Français moyens auront été aussi finement dépeints. L'éclectisme de l'ancienne élève de la Rue d'Ulm, sautillant d'Ovide et de Mme de La Fayette aux nymphettes d'aujourd'hui, ne cessera jamais de nous étonner.
21 octobre 2011
Une vraie jeune fille
Raphaëlle Leyris
Drôle de patronage. En exergue de Clèves, Marie Darrieussecq a inscrit une citation de Rainer Maria Rilke (1875-1926) : « Est-il possible que l'on ne sache rien de toutes les jeunes filles qui vivent cependant ? » Sous l'égide du poète allemand, la romancière française se donne pour mission de raconter l'expérience des adolescentes. C'est-à-dire – l'auteur des Lettres à un jeune poète avait-il cela en tête ? –, de rendre compte de la puberté au féminin, avec son surgissement inopiné de poils, de sang, de seins et son bouillonnement hormonal.
En écho surprenant à Rilke, son héroïne s'interroge au moment où surviennent ses règles :« Est-il possible que toutes les femmes aient ça et que tout le monde fasse comme si de rien n'était ? »
Ce personnage s'appelle Solange et vit dans le village de Clèves. On la rencontre à la fin du CM1, quand, un soir de kermesse, elle découvre la honte en voyant son père, saoul, s'exhiber nu en pleine rue. Le mot « bite » se met à bourdonner autour d'elle, il rebondit des murs de l'école au sable de la plage la plus proche. Mais ce qui préoccupe vraiment Solange, ce sont les règles (la première partie s'intitule : « Les avoir »). Une fois franchi ce cap, et tandis que ses parents, trop occupés à se déchirer, la confient à Monsieur Bihotz, baby-sitter tatoué qui s'occupe d'elle depuis la prime enfance, elle peut passer, cinq étés plus tard, à l'étape supérieure (deuxième partie : « Le faire »). Autour de Solange, tout le monde ment sur ce qu'il a expérimenté, tout le monde s'épie. Un soir, Solange reçoit son premier baiser d'un pompier qui enterre sa vie de garçon en boîte de nuit. Après, il y aura Arnaud, un garçon égoïste et brutal, mais aux yeux de Solange, « un homme, un vrai » – un bachelier, pensez.
À la suite de cette initiation sans douceur, son obsession sera de « le refaire » (troisième partie) ; il s'avère que le partenaire idéal, en attendant qu'Arnaud daigne téléphoner, soit Monsieur Bihotz, la nounou, transformé par une Solange tentatrice en professeur de désir bourré de culpabilité.
Clèves aborde ainsi le sujet de la pédophilie sur un mode peu orthodoxe, en se demandant sans dramatiser si une éducation sexuelle ne se fait pas mieux avec un adulte attentif qu'avec un adolescent indifférent, mais cet aspect du livre n'a pas provoqué de scandale. Pas plus que n'ont outré les clins d'œil à la patrimoniale Princesse de Clèves, dont le roman de Darrieussecq se veut, dit son auteur, « une réécriture à l'envers ». En revanche, il a déclenché chez des critiques et des lecteurs des réactions violentes de rejet en raison de sa crudité. L'écrivain se glisse dans la peau de Solange et lui emprunte ses mots, qui sont ceux de son âge, son époque (le début des années 1980) et de sa classe sociale (moyenne tendance rurale). « Bite » apparaît une soixantaine de fois, « chatte » le suit de près, il est beaucoup question de « mouiller » et de « doigter » entre deux évocations des mycoses. Provocation gratuite, adolescente, de la part d'une romancière quadragénaire ? Ou expédition audacieuse sur le continent noir de la sexualité à l'âge ingrat ?
Le sujet de Marie Darrieussecq depuis Truismes (P.O.L, 1996) est toujours le même : il s'agit d'examiner ce que le langage dit de l'expérience, la manière dont les mots, et notamment les lieux communs, énoncent la réalité et, en retour, la façonnent. Solange, comme ceux qui l'entourent, manque de mots, elle n'en connaît que deux pour désigner les organes sexuels, alors elle les utilise, les répète à l'envi comme pour les apprivoiser, même après être allée regarder dans le dictionnaire le sens des mots « pénis » et « verge ». Elle avance à tâtons dans le flou des termes, se débat comme elle peut avec les bribes de vocabulaire glanées au hasard, et tente de saisir ce qu'ils renvoient de son vécu. Ainsi, après la scène pas franchement romantique avec le pompier, Solange hésite entre deux discours, l'un relevant du roman-photo, l'autre, du bréviaire macho : « Un peu de cet événement inouï se dépose dans ces trois mots, mon premier baiser, mon premier baiser. “Rêvant à lui, un trouble délicieux l'envahit." Est-ce que c'est ça ? « Elle mouillait comme une chienne », une autre phrase, entendue dans la bouche d'un homme dans une kermesse ou une fête ou un bar » [...]. »
Clèves dit l'invraisemblable encombrement du corps à l'adolescence, qui occupe d'autant plus de place dans le cerveau que tout le monde « fait comme si de rien n'était » et que les adultes ne livrent pas les mots qui permettraient de se dépêtrer de ce fatras de sensations nouvelles. Reste à savoir si Marie Darrieussecq se tire bien de son sujet extraordinairement périlleux ; si, voulant dire ce que les jeunes filles vivent avec ce roman cru et cruel (drôle, aussi), elle ne verse pas dans le trivial, l'obscène et l'inapproprié, dans le pas grand-chose raconté en se gorgeant de gros mots pour sur-souligner sa hardiesse.
Le corps et la sexualité envisagés comme le fait Solange par le petit bout de la lorgnette ont-ils leur place dans les rayons « littérature » des librairies ? Il n'est pas impossible que Marie Darrieussecq choque aussi parce qu'elle est une femme, écrivant sur les émois et les déboires d'une jeune fille avec un culot stupéfiant.
21 octobre 2011
Nous avons été cette gamine
Virginie Despentes
Ça fait une bonne dizaine d'années que ça se met en place : au pays des critiques, on n'est jamais assez prude, assez défiant de tout ce qui pourrait se jouer sous la ceinture – cette zone réputée infâme et dénuée d'intérêt. Ainsi la question « Darrieussecq verserait-elle dans le trash en publiant Clèves ? » peut aujourd'hui se poser, sans qu'on se couvre de ridicule.
Le trash serait devenu le terme adéquat pour désigner le désir féminin, dès lors que ce désir passe par un corps. À l'extrême limite, la brigade du bon goût littéraire tolère encore les bites qui peinent à jouir et sentent le pipi de vieux, Philippe Roth passe encore, on sent que c'est tout juste, sans trop déranger les estomacs délicats de la critique hexagonale. Mais la petite chatte affolée de la Solange de Clèves : un digne silence accueille son explosion hormonale. Trop de fluides, sans doute.
Un remonteur de moments
Pourtant, n'importe quel romancier un peu concentré – et que ne dégoûteraient pas irrémédiablement les femmes – consacrera quelques pages aux premières règles de son personnage, s'il entend dresser le portrait d'une petite lubrique déterminée à en découdre avec le sexe opposé.
N'importe laquelle d'entre nous se souvient du premier jour où elle a saigné. Ne serait-ce qu'à cause de la réaction des adultes, c'est un jour important. De la même façon, on voit mal comment l'auteure s'y prendrait pour décrire l'éveil érotique d'une adolescente, sans mentionner ici et là qu'elle mouille. Les filles trempent leur culotte quand elles ont envie de sexe – comment Darrieussecq ferait l'économie d'un peu de cyprine le long des lignes ?
Clèves fonctionne comme un remonteur de moments, ni oubliés, ni occultés, mais jamais consultés, jamais célébrés. Clèves restitue l'état d'adolescence avec le plus grand sérieux, sans jamais se foutre de son personnage. On ne rigole pas de Solange, on rigole avec elle. Comme on rigole en gigotant du haut du plus haut des plongeoirs : en sachant qu'on va y aller.
La défloraison : un pauvre coup foireux, tiré avec un imbécile. L'événement d'une vie, le grand bouleversement, c'est Bovary qu'on sodomise – et ça nous rappelle quelque chose. D'une façon ou d'une autre, sur une période plus ou moins longue, nous avons été cette gamine obsédée. Le monde de Solange est une vaste et formidable forêt de bites, avec des hommes flous, autour. Animaux peu farouches, que Solange s'arrange bien pour apprivoiser.
Clèves a peut-être un tort, qui fait que le roman colle mal à son époque : le sexe y est jubilatoire. La Lolita chaudasse n'est jamais punie de son appétit démesuré, aucune trace de culpabilité dans sa chevauchée sauvage. Les temps changent, mais j'espère, au pays des lecteurs, ne pas être la dernière à trouver ce programme plus réjouissant qu'un autre.
27 août 2011
Marie Darrieussecq
Interview : La jeune fille et le sexe des magazines
La jeune fille et le sexe des magazines
Clèves, comme la princesse. C'est le titre du roman de Marie Darrieussecq, du nom du village imaginaire dans lequel elle situe l'action. Ou plutôt trois actions comme autant de parties du livre : les avoir, le faire, le refaire. Les règles, l'amour, l'amour encore. Quinze ans après Truismes, elle revient avec Solange, une adolescente, sur la métamorphose d'un corps, dans un rapport étroit aux mots à disposition pour penser et vivre ces changements. Toujours préoccupé par l'étrange et pourtant bizarrement familier, ce texte subtil s'avère l'un de ses plus personnels et universels à la fois, un roman particulièrement touchant sans la moindre mièvrerie.
Quel a été le point de départ de l’écriture du roman ?
Je voulais depuis longtemps parler de l’adolescence. Alors j’ai eu l’idée de réécouter le journal intime que j’ai enregistré entre 14 et 17 ans. Comme j’ai toujours écrit de la fiction, je préférais enregistrer ce journal sur des cassettes. J’ai passé trois semaines avec ces bandes et tout m’est revenu d’un coup : les débuts de la vie sexuelle à deux et ses complications. Un autre projet, ancien aussi - un rewriting de la Princesse de Clèves -, est venu télescoper celui-ci : j’ai réalisé que la princesse était aussi une adolescente, elle a 13 ans. Certes, elle ne couche pas, mais elle ne pense qu’à ça, elle aussi. L’articulation des deux projets m’a pris du temps : c’est l’idée de l’entrée dans la vie sexuelle. Au départ, je voulais transposer la Princesse de Clèves. Je cherchais un huis clos et j’ai tout essayé : un Club Med des années 70, une navette spatiale… Ça ne fonctionnait pas.
Le livre n’est pas une réécriture mais il a été nourri par ce texte classique dont je sentais qu’il occupait bien notre époque. Et ce bien avant la polémique qui a suivi les propos de Sarkozy et qui n’a fait que confirmer mon intuition.
Quelles sont vos autres sources ?
C’est aussi un peu une réécriture de Truismes, qui était un livre assez autobiographique : les jeunes gens ne disposent que des clichés pour accéder à l’âge adulte : ceux de leurs parents, de l’école, de l’Eglise, ceux que je trouvais dans OK Magazine ou dans Girl Magazine. Des phrases toutes faites et de pauvres formules pour aborder ce qui est le plus intime, le plus culturel, le plus codifié et le plus socialisé : la sexualité. Le livre en est truffé, des choses que j’ai empruntées à mon journal intime. De ces phrases auxquelles les ados s’accrochent pour tenter de s’expliquer le monde et ce qu’ils ressentent, avec une cruauté souvent involontaire. C’est un univers d’une incroyable dureté. J’ai d’abord été effrayée lorsque j’ai écouté ce journal.»
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6 octobre 2011
Avec ce «Clèves», Marie Darrieussecq montre que la princesse de Mme de La Fayette, aujourd'hui, est une adolescente obsédée par le sexe, dans un village où les messieurs exhibent leurs parties génitales les soirs de kermesse
Grégoire Leménager
Clèves
par Marie Darrieussecq,
POL, 350 p., 19 euros.
Pauvre Mme de La Fayette. Elle s'était échinée à montrer, avec d'inépuisables ambiguïtés, comment l'on peut préférer la vertu à toute espèce de galanterie; et voilà que Marie Darrieussecq fiche tout par terre.
Chez elle, Clèves est le nom d'un village où l'on boit du rosé avant d'aller montrer sa bite à la kermesse, où «l'école entière est obsédée par le sexe», et où une lolita locale «se demande s'il vaut mieux le faire avec celui-ci ou celui-là». La question tourmente Solange depuis qu'elle s'est mise à écouter son corps et les cochonneries que racontent les autres.
Elle n'est pas au bout de ses découvertes: après avoir trouvé des «traces sombres» dans sa culotte, elle pressent, sans même lire Beauvoir, qu'«on n'arrête pas de devenir une femme»; «quelque chose de mouillé gagne ses doigts» quand elle les plonge «dans son petit jean et frotte, vite»; elle cherche dans le dictionnaire des mots comme «accouplement», «pédé» et «pénis».
On devine que cette pucelle de Clèves ne le restera pas longtemps. L'adolescence n'est pas seulement une occasion d'enrichir son vocabulaire. Ici, c'est l'âge où on apprend le sentiment de honte, où on donne son premier baiser à un pompier anonyme pendant que Michael Jackson chante «Billie Jean she's not my love, toum, toum, toum», et où un petit prétentieux vous explique Sartre en fumant des joints, avant de vous entraîner au lit pour dire: « «Pompe, putain. D'une voix troublée.» Au fond, on aurait tort de lire «Clèves» comme un vulgaire remake du chef-d'oeuvre de Mme de La Fayette.
C'est aussi le récit soigneusement millimétré d'une relation inappropriée, comme disent désormais les amateurs d'anglicismes pudiques, qui permet à son auteur d'aborder finement la question de la pédophilie. Avec son style crû et lapidaire, qui donne la place du roi au mot «bite» pour coller au plus près des sensations d'une jeune fille en fleur des années 1980, c'est la réécriture hyperréaliste, presque austère et pourtant émouvante, du premier livre de Marie Darrieussecq. Elle y racontait déjà une métamorphose, celle d'une femme en truie.
marie claire
Gilles Chenaille
Avec ce talent humoristique et provocateur qui porte si bien sa griffe, Darrieussecq nous embarque dans la chronique des (pas si) tendres années d’une écolière, qui comme toutes ses copines et copains, ne pense – tremblez, parents – qu’au sexe et aux garçons. Pardon, il n’y a pas d’autres mots. Si : au sexe. Au pénis, au vagin et à l’accouplement, dont elle cherche fébrilement les définitions dans le Larrousse (ainsi peut naître une carrière littéraire).
Réglée quand elle est en CM2, au grand dam de sa mère (« Il ne manquait plus que ça. Le tableau est complet ! »). En ce début des années 80, dans un village basque, la jeune fille parle beaucoup, fantasme un max, mais ne tarde pas – comme ses copines déchaînées – à agir. Et là, on rougirait presque d’avoir à vous en donner le détail...
Marie Darrieussecq a-t-elle versé dans le trash avec Clèves?
Par Christine Ferniot et Delphine Peras (Lire), publié le 29/08/2011 à 08:00
POUR : la réalité sans tabous
Frontale, Marie Darrieussecq ne ménage personne. Ce n'est ni son genre, ni son ambition. Elle écrit les mots que les filles dissimulent dans les recoins de leur mémoire, ces "gros mots" qui peuvent faire mal et qu'elles supportent honteusement : règles abondantes, gros seins, bite, pucelle, vulve, orgasme... Son héroïne, Solange, a treize-quatorze ans, un vocabulaire trop vaste pour elle, une peur panique de ne pas être assez adulte pour les autres, les garçons et les hommes qui la regardent comme une proie. Alors, Solange se dépêche de "faire la chose" pour s'en débarrasser et reste une fillette qui mélange tout : l'amour et faire l'amour en particulier.
Clèves est un roman cruel d'une tristesse poignante sur l'absence d'illusion d'une génération née avec le porno de Canal +. Le père est absent, la mère n'a pas le temps. Restent la télévision en clair et les conversations de copines où il ne faut pas avoir l'air coincé pour rester dans la bande. Clèves parle de l'éducation faite sur le tas, sans recul ni principes. Solange finira bien par grandir dans son village de 2 500 habitants, rêvant toujours de partir avec un surfeur aux lèvres craquelées. Elle ne lira jamais Madame Bovary, pourtant elle ressemble à l'héroïne de Flaubert : une petite Emma qui voudrait tellement connaître la passion et mime les gestes les plus crus, histoire de se faire remarquer.
Christine Ferniot
CONTRE : 63 occurrences de "bite(s)", c'est trop
C'est entendu, Marie Darrieussecq est une romancière libérée - surlignage à la Houellebecq, autre auteur libéré-, surtout quand il s'agit d'évoquer dans ce nouveau roman, son quinzième livre à peu près, l'éveil à la sexualité d'une gamine des années 1980, du CM1 au lycée, et son obsession pour la chose - nettement partagée par ses petits camarades. Certes, il est légitime d'appeler un clitoris un clitoris. Mais l'auteur du célèbre Truismes (1996) en fait trop : trop de "bite(s)" - nous avons compté soixante-trois occurrences sur 345 pages, heureusement une seule pour "dans le trou du caca" quand il est question de sodomie ; trop de "chatte(s)", de "pute(s)", de "mouiller", de "doigter", etc. Sans oublier un compte rendu détaillé des menstruations de la donzelle et de son penchant pour la masturbation, ainsi qu'un "malgré qu'ils sont des gauchistes" et moult formulations triviales qui font jeune. Admettons que Marie Darrieussecq sait trouver le ton juste pour restituer les codes d'une génération qui s'ennuie dans une petite ville de province, et le drôle de rapport que l'on peut avoir à son corps et à la séduction à cet âge-là. Mais si Clèves nous a paru un peu plus distrayant que La vie sexuelle de Catherine M., et si les lecteurs libérés y trouveront peut-être leur compte (de fesses), la lourdeur du propos exaspère vite et on peine à terminer ce roman qui porte complaisamment la plume dans la culotte.
Delphine Peras
Flammarion
« Marie Darrieussecq,
pourquoi aimez-vous La Princesse de Clèves ? »
Parce que la littérature d’aujourd’hui se nourrit de celle d’hier, la GF a interrogé des écrivains contemporains sur leur « classique » préféré. À travers l’évocation intime de leurs souvenirs et de leur expérience de lecture, ils nous font partager leur amour des lettres, et nous laissent entrevoir ce que la littérature leur a apporté. Ce qu’elle peut apporter à chacun de nous, au quotidien.
Née en 1969, Marie Darrieussecq, romancière, a notamment publié, chez P.O.L., Truismes (1996), Naissance des fantômes (1998), Bref séjour chez les vivants (2000), Le Bébé (2002), Le Pays (2005) et Tom est mort (2007). Elle a accepté de nous parler de La Princesse de Clèves de Mme de Lafayette, et nous l’en remercions.
Quand avez-vous lu ce livre pour la première fois ? Racontez-nous les circonstances de cette lecture.
J’avais treize ans quand notre professeur de français nous a donné à lire La Princesse de Clèves. Autant dire : nous a ordonné de le lire. Je n’y arrivais pas. Les premières pages étaient comme une barrière infranchissable. Dix noms propres par ligne, vingt-cinq mariages, cinquante alliances politiques. Une douve autour d’un château fort, une série d’épreuves avant de mériter enfin ce roman… Complètement perdue, écœurée, je tentais de me raccrocher à un fil, à une histoire, à ce roman d’amour qu’on nous promettait : rien.
À quel moment le coup de foudre a-t-il eu lieu ?
J’ai fini par sauter les pages et je suis tombée sur une phrase qui est restée gravée dans ma mémoire : « Il parut alors une beauté à la cour. » Cette phrase donne le coup d’envoi du livre, et c’est un coup de tonnerre. Une femme paraît, l’histoire commence. (Plus tard, en lisant L’Éducation sentimentale de Flaubert, la phrase « Ce fut comme une apparition », à propos de Madame Arnoux, me fit le même effet.) J’ai lu le livre d’une traite, puis je suis revenue aux premières pages, que j’ai lues péniblement.
Pode ler-se um extracto do livro em http://www.lexpress.fr/culture/livre/cleves-de-marie-darrieussecq_1024395.html