12-3-2005
Kiffe kiffe demain, de Faïza Guène
Tradução Portuguesa: Amanhã será melhor, Editorial Presença, Janeiro de 2007, ISBN-13: 9789722336833, 342 pags.
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Semaine du jeudi 19 août 2004 - n°2076 - Livres
Sagan des cités ou petite soeur de Jamel Debbouze?
Le monde selon Faïza
Anne Fohr
Elle parle le verlan comme le français châtié, raconte le quotidien d’une
beurette de banlieue avec humour et acidité. Faïza Guène, 19 ans, sort un
premier roman et un film à la rentrée
«Tout le monde se casse et moi je vais rester au quartier pour surveiller la cité comme un chien de garde», lâche l’héroïne de son roman. Ce matin, Faïza fait penser à son personnage. L’air est brûlant dans le quartier des Courtillières, à Pantin. Herbe jaunie, peu de monde aux fenêtres, collège bouclé, la cité est en vacances. Dans la maison de quartier où elle se sent chez elle, Faïza regarde ses copains emballer des caméras pour un stage qui les emmènera demain au Maroc. Elle devait être du voyage. Mais, chez Hachette, on ne l’a pas laissée filer. «Je dois rester là, pour le livre…», dit la gamine, la voix blanche. Faïza Guène, 19 ans, fille aux joues rondes et aux barrettes dans les cheveux, la «Faïzouza» de sa maman, sera sans doute une des découvertes littéraires de la rentrée. Son roman (1) fera rire et pleurer beaucoup de monde. On découvrira qu’elle est à la fois une cinéaste prometteuse et une romancière en herbe. Dans le creux de l’été, une cohorte de journalistes se bousculent déjà sur son portable. Le premier roman d’une beurette de banlieue ne passe pas inaperçu. Quand c’est une petite merveille, c’est la ruée sur l’auteur, sa vie, son œuvre. On en fera peut-être un phénomène. Nouvelle Sagan des cités ou petite sœur de Jamel Debbouze?
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On va adorer son insolente héroïne, Doria, 15 ans, qui vit seule avec Maman depuis que «le barbu», son père, est reparti au pays en épouser une autre. Elle jacte comme une pie et déverse la chronique de sa cité de Livry-Gargan, perdue dans le grand 93 des banlieues. Chez Doria, les maris font «du mi-temps», les filles sont parfois «détenues» à la maison, il y a «de la pisse et des mollards» dans les ascenseurs… Mais bon, il y a aussi des kermesses avec du synthé, des barbecues frites-merguez… On cause, on tchatche. Enervée, dégoûtée, revenue de tout, sauf de l’amour pour sa mère, Doria enregistre la vie en se faisant du cinéma. Mais le jour où son voisin Nabil lui récite du Rimbaud, voilà l’ado qui cesse de soupirer que tout est «kif-kif». Et même si «c’est de la poisse d’être fille», elle se met à «kiffer» demain… Comprenez: l’idée de l’avenir lui plaît beaucoup. Avec elle, on revisite la France des quartiers où habitent des Français pas tous d’origine, encore entre deux mondes, toujours vivants, plus que jamais. Et l’on se sent, comme elle à la fin, de «forts élans républicains».
Faïza ne réalise pas encore ce qui lui arrive. «Les
gens vont lire ce que j’ai écrit, lâche-t-elle, c’est ça qui me fait
le plus kiffer! Mais franchement je n’arrive pas à trouver ça mortel!»
Pour l’instant, elle a la trouille. Elle vanne, elle tutoie: «Je ne sais
pas conjuguer le vous!» Elle se moque d’elle en photo: «J’ai l’air
d’une maniaco-dépressive!» Elle assure qu’elle a fait son livre «sans
y avoir pensé». «Ecrire, ça vient tout seul. Je te jure, un soir,
j’ai écrit sur un cahier: "C’est lundi et comme tous les lundis […]",
sans savoir ce qui allait suivre. Ce livre, c’est du hasard. Je n’ai pas
claqué des doigts pour le faire, mais il est sorti tout seul.» Ensuite,
elle devance aussi la question brûlante: «Tu vas me demander si c’est
autobiographique? C’est obligatoire, mais j’y ai mis une façon de regarder
les choses. Au fond, je devais composer ce livre depuis des années. J’espère
que je n’ai pas été trop dure.»
Possible que sa peste de Doria, Faïza l’ait campée pour balancer ce qu’elle
avait sur le cœur. Faute de pouvoir le faire dans la vraie vie. Pour ne pas
faire de peine à ceux de «chez nous». Entendez «nous, les Arabes».
«Elle va faire connaître un peu plus ce que nous vivons, soupire une
amie. Nous les filles, nous devons vivre en douce pour ne pas décevoir
nos parents.» «C’est une génération encore coincée entre deux
cultures, explique un professeur. Elles veulent éviter la
schizophrénie et tentent la cohabitation. Mais elles sont à la veille de
leur Mai-68.»
En attendant leur révo cul, ces filles sont des hybrides. Tour à tour
raisonnable et délurée, Faïza parle en verlan comme en français châtié,
aligne des tirades de gamine et des propos de femme avertie, le tout dans un
éclectisme permanent. Chateaubriand ne va pas sans Tahar Ben Jelloun,
Souchon sans Diana Ross, Cheb Mami sans Boris Vian. Banale et extraordinaire,
son histoire lui ressemble. Celle d’une fille d’immigrés algériens qui a
grandi dans une famille «collée-soudée». Voilà cinquante ans, Papa
quitte ses chèvres et son djebel pour tenir un marteau-piqueur sur le pavé
parisien. Maman arrive plus tard pour faire une famille. Deux filles et un
garçon, couvés avec vigilance, abreuvés de deux préceptes: «Soyez gentils»
et «Travaillez à l’école». «Je ne voulais pas que mes filles
perdent leur vie, comme moi, à aider leur mère, explique la maman.
Même leur verre était déjà rempli d’eau quand elles rentraient manger à midi!»
Faïza, la cadette, championne d’orthographe et première en rédaction,
emprunte le matin des livres qu’elle rend le soir, gribouille des histoires
sans arrêt. Elle saute le CP et déteste la sonnerie qui met fin aux ateliers
de lecture. Au collège, le djeja – petit poulet maigre – s’étoffe,
fréquente le dictionnaire, découvre Zola, Brassens, Kateb Yacine. Jusqu’au
jour où un prof, Boris Seguin, l’emmène faire un reportage pour le journal
du collège sur la maison de quartier. Elle doit raconter l’atelier d’écriture
cinématographique qu’il y anime. Un génie, ce Seguin. Il invente des chemins
de traverse pour donner aux élèves l’envie de maîtriser leur langage et leur
écriture. Autant que la rime, le décorticage du verlan fait partie du
programme. Le jour du reportage, Faïza, médusée, lâche son article et
assiste à l’atelier. Elle ne l’a jamais quitté depuis.
«La gamine de 13 ans aux yeux pétillants a appris les bases de la
grammaire cinématographique, se souvient Julien Sicard, maître d’œuvre
de l’association Les Engraineurs qui produit les films de l’atelier.
Elle nous a vite apporté son premier scénario, trois pages manuscrites assez
propres.» Sidérés, les cinéastes lui font travailler son texte et le
tournent en vidéo. Le film s’appelle «la Zonzonnière», du nom des
filles trop surveillées. Faïza devient vite «l’Engraineuse» la plus
productive. A 15 ans, elle réalise «RTT», son premier court-métrage,
«avec trois sous qui se courent après». Le projet manque de capoter
la veille du tournage, l’actrice principale ayant déclaré forfait. La mère
de Faïza propose de reprendre le rôle. Elle apprend le texte en épluchant
ses légumes, et elle «cartonne», dit sa fille, «trop fière d’elle».
«RTT» remporte trois prix dans des festivals.
Cinq courts-métrages suivront, mais aussi un documentaire sur le 17 octobre
1961, «pour raccrocher les wagons avec la mémoire de son père», dit
un ami. Après le bac, elle abandonne rapidement l’IUT voisin. «Des
Martiens dont je ne comprends pas le langage.» Elle déprime, se sent
nulle. Mais heureusement Les Engraineurs sont là pour la pousser à reprendre
l’écriture. Faïza respire à nouveau, écrit et fait lire 50 pages d’«un
truc» à Boris Seguin, qui les apporte aussitôt à sa sœur, éditrice chez
Hachette. Contrat signé pour un «Kiffe kiffe demain»… Dans la foulée, ils se
mobilisent pour qu’elle réalise un moyen-métrage. Un vrai film cette fois,
«Rien que des mots», avec 60000 euros du Fonds social européen et du
Centre national de la Cinématographie. Le tournage a lieu en décembre
dernier. Casquette sur la tête et cahier sous le bras, Faïza dirige 20
techniciens professionnels et sa dizaine d’acteurs, dont sa mère. Le film
sortira en septembre.
Combien de temps restera-t-elle encore la fille des Courtillières? Maman
s’inquiète parfois de la voir aussi souvent partie: «On va t’oublier, tu
sais…» Câline, Faïza s’en sort par une vanne: «Garde-moi ta plus
belle robe orientale pour le jour où je monterai les escaliers à Cannes!»
Elle ne dit pas à «ces gens dignes» que leur fille «ne sait pas où
elle va». «Je suis une égarée, lance-t-elle. Je vais où le
vent m’emporte, mais j’ai du temps à perdre.» Les bancs de l’école lui
manquent, elle y retournera en septembre, en socio à Saint-Denis. Elle file
aussi souvent que possible avec ses copines explorer le vaste monde de
l’autre côté du périphérique. De quoi engrainer son premier sujet en dehors
de la cité.
(1) «Kiffe kiffe demain», par Faïza Guène, Hachette Littératures, 194
p., 16 euros.
October 26, 2004
From Paris Suburbs, a Different Voice
By ELAINE SCIOLINO
PANTIN, France -Elle magazine called the heroine of Faïza Guène's first novel "a Bridget Jones teenager of the suburbs." Indeed, "Kiffe Kiffe Demain" is not at all like the tragic tales of victimization, alienation and rage written by young Arab-French women about life in the grim immigrant suburbs ringing France's big cities. Ms. Guène, the 19-year-old daughter of Algerians who moved to France before she was born, has taken her experiences growing up in public housing projects outside Paris and whipped them into a confection that is tender, funny and even wise. |
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Her story of 15-year-old Doria, the daughter of Moroccan immigrants living in a housing project called Paradise, challenges the conventional wisdom that the suburbs are only dangerous, crime-infested wastelands where hatred runs deep and hope is nonexistent.
"Here in the suburbs everyone fantasizes about the lives of Parisians and imagines they all have good jobs and a lot of money," Ms. Guène said in an interview at a community youth center here in Pantin, a suburb northeast of Paris. "And on the other side, they imagine that we are all wild animals in zoos."
"Kiffe Kiffe Demain" ("More of the Same Tomorrow") is a necessary corrective, she said. "I was sick and tired of hearing only black stories about the suburbs, so I wrote about the trivial, daily things that happen here," she said. "It's important to show that the suburbs are not only about cars that are set on fire, or girls who get gang-raped in basements."
The novel is set around the departure of "the bearded one," Doria's father, a ne'er-do-well so obsessed with having a male heir that he abandons his wife and daughter, returning to Morocco, where he takes a second, younger wife, who dutifully produces a son.
"Destiny is misery because you can do nothing about it," Doria says early in the book. "My mother, she says that if my father left us, it was because it was written."
Unskilled and illiterate, Doria's mother struggles to support herself and her daughter with the help of social services and a job as a chambermaid in a cheap hotel. The boss, a Frenchman, calls the female Arab workers Fatma, and the Chinese workers Ping-Pong.
Angry and friendless, Doria staves off boredom watching American sitcoms dubbed into French. She is ordered by her high school to see a therapist - paid for by France's generous health care system - who "wears a garter belt and smells of anti-lice shampoo, but still is nice."
Only three stops away by métro, Paris is a world apart. Doria lures her mother to the city, taking her to the Eiffel Tower; it is the first time her mother has been there, though she has lived in France for 20 years. They do not take the elevator to see the view. It is too expensive.
Doria makes fun of an acne-prone classmate nicknamed Nabil the Nul (Nabil the Zero) until he helps her make it through math class. She discovers the possibility of shaping her own destiny after a neighbor, Hamoudi, who smokes hashish and steals cars, recites the poems of Rimbaud to her.
Eventually mother and daughter discover their strength and feel liberated without a domineering man in their lives.
Doria's mother quits her job to learn how to read and write under a program paid for by the suburb. Doria fantasizes about becoming an actress "walking on a red carpet in Cannes" or, even better, a politician who will fight for the rights of her neighbors.
"I will lead the revolt of the neighborhood of Paradise," she says at the book's end. She writes a fictitious headline about herself: "The pasionaria of the suburbs pours oil on the fire."
A passionate writer, Ms. Guène began by creating fairy tales when she was 8, casting her friends as princesses and heroines. They paid her back with candy. She became editor of a middle school literary magazine at 13, using the profits from sales for school outings.
For several years, she has been part of a publicly financed neighborhood film project writing scripts for television. This fall, she began her freshman year as a sociology major at a college in St. Denis, another Paris suburb.
She started "Kiffe Kiffe" two years ago, writing in longhand in cafes and on her parents' bed in the two-bedroom apartment she shares with them and her two siblings.
She showed the first 40 pages to one of her film project advisers, who took it to his sister, an editor at Hachette Littératures, one of France's top publishing houses. Ms. Guène was paid a $900 advance and another $900 when she delivered the finished manuscript.
"I didn't write this book thinking it would be published," she said. "I always had this image of a writer as someone who always had to struggle." As for the advance, she added, "I gave it all to my mother because what else would I do with it?"
The book is only partially drawn from her own family life. Like the fictional mother, Ms. Guène said her own mother "is a strong character who always sacrificed everything for the family." Her father, a retired construction worker, is "quiet, but wise."
Asked if she ever feared he would leave them, she replied, "He'd never find another woman as good as my mother."
Ms. Guène credits her parents with allowing her a degree of independence unusual in an immigrant world steeped in a tradition that sometimes forces girls into submission or drives them to wear head scarves. Yet she still fears her parents. "If they knew I smoked, they'd kill me!" she said. "I'd be a posthumous author."
Despite the book's upbeat tone, Ms. Guène admits struggling with her own identity.
"We speak Arabic and watch Algerian satellite and listen to Algerian music at home," she said. "Even what I have on my plate is Algerian. You can't easily just tell yourself one day you're French. You're betrayed by your face, your hair. It takes time."
She has been called "dirty Arab" on the streets of Paris and told to "go home," she said.
Her book, which has sold 25,000 copies, according to the publisher, has already appeared among the top 20 best sellers on at least one book list. It is to be published in Japanese, Spanish, Italian, Portuguese and Dutch, and negotiations with American publishers are under way.
In her torn jeans, scuffed Adidas and zipped-up sweatshirt, Ms. Guène seems alternately pleased and uncomfortable with her success. She doesn't like being a symbol of the suburbs or being likened to Françoise Sagan, the French writer who died last month and who wrote her best-selling first novel, "Bonjour Tristesse," when she was 18.
"I don't want to be the Sagan of the housing projects," she said. "That's a bit much. I don't want to be called the Arab girl from the suburbs who had a tough life and made good because I don't think I had a tough life."
Still, she is pleased that it is not only soccer players and rap musicians from the suburbs who can make good, and proud that a neighbor told her that her book was the first he had ever read.
"I want to be known as a girl who is very lucky," she said, "a girl who wrote a book that has done well."
6 May 2006
CHATTO & WINDUS £5.99 (121pp) (free p&p) from 0870 079 8897
First made famous in Salinger's Catcher in the Rye, the formula is familiar. Angst-ridden adolescent, tongue loosened during psychiatric treatment, slags off parents, school friends and everyone else in a stream of bile enlivened by black humour and a streetwise vocabulary. Self-pity and social analysis walk hand in hand, together offering a satisfying read both to teenagers and to those adults still nostalgic for the angry disillusion of their youth. This recipé has remained a staple of bestselling fiction over the past 50 years.
All this is true of Faïza Guène's Just Like Tomorrow, published in France in 2004 and shifting over 100,000 copies even before its translation rights were sold. What makes it different is that its 19-year-old author, far from sniping at society from a position of middle-class security, has Algerian parents and was brought up in one of the grim tower blocks of Paris. She has produced in Doria a teenage heroine who speaks up for a new and previously unheard cast of dispossessed characters.
It's not just her Paradise Estate, tawdry local shops and intolerant teachers or employers that get the blame. The greatest rage is reserved for Doria's Moroccan father, "Mr How-Big-Is-My-Beard", who has returned to his former country to marry a new bride. Doria's depressed, illiterate mother manages as best she can while her furious daughter sulks at school. Other first-generation immigrant husbands and fathers are also held up for inspection, and found wanting.
However expertly translated by Sarah Adams, an authority on the near-impossible task of swapping one country's slang for another's, some of the original humour has inevitably been lost. But enough of Guène's comic irreverence remains to make this novella entertaining as well as searing. Doria's long-suffering psychotherapist and social workers, usual butts of disaffected teenage fiction, are grudgingly allowed some worth. A disastrous first kiss is also viewed more positively.
Doria decides to cheer up a little, even contemplating a career in politics. But the fate of Youseff, wrongly imprisoned before re-emerging politicised and very angry, overshadows any feeling of hope at the end of this sparky, engaging story. Describing a world more often written up by journalists after the latest riots rather than by authors who have lived there all their lives, this is literature that needs to be read.
A teen's-eye view of Paris project life
Reviewed by Christine Thomas
Sunday, July 16, 2006
Kiffe Kiffe Tomorrow
By Faïza Guène; translated by Sarah Adams
HARCOURT; 179 PAGES; $13 PAPERBACK
The City of Light may avoid spotlighting its problems, but 22-year-old Faïza Guène's simple but fresh depiction of the problems facing Arab-French immigrants in suburban Paris housing projects has riveted international readers. A child of Algerian immigrants who grew up in the Pantin housing projects, Guène in her first novel offers an authentic glimpse of the painful reality of an existence happening outside the sheen of Parisian sophistication.
In short, diary-like chapters addressed to an unidentified "you" and told in a nearly stream-of-consciousness flow, Guène presents life through the eyes of Doria, a well-supported but isolated 15-year-old. Her father has returned to Morocco to sire a son with a new wife, and though her illiterate mother has remained, she works long hours as a hotel maid. Still, they both make the most of God's script, or mektoub. The book begins with Doria in therapy, and she is regularly visited by social workers, one of whom she calls "Mme DuThingy." She is closest to Hamoudi, a neighbor and drug dealer who has known her since she was "no bigger than a block of hash," while other characters weave through in scant appearances, such as her young tutor, Nabil, and Mohammed the grocer. All compete with Doria's mainly typical adolescent dreams and imaginings, complete with lost wisdom teeth, disappointments with boys and observations continually punctuated with "whatever."
Using Doria's perspective allows Guène to innocently invert French intellectual elitism, especially refreshing when Doria comments on the potential of being called out for reading certain kinds of "pulp on the metro" unless you "cover it with brown paper" instead of being lauded for reading for pleasure. It also allows exposure of the literal and metaphorical divide between Parisians and poor immigrants. Though they live 20 minutes from the Eiffel Tower, Doria's mother has not seen it, while still others simply try to return to their home once they realize that the country "they thought would become theirs" won't. To survive, Doria imagines Parisians' lives and uses "TV series morality" to make sense of the world, admitting that for her, "TV today is like the poor person's Koran."
Though this blurring of reality contributes to the promise and intrigue of the novel, it also makes Doria shadowy. Rather than speaking to the ambiguity of youth or the identity struggle of adolescence, inconsistencies in her character cause her to appear incomplete. She is said to be a collector of "witch-doctor propaganda" but mentions collecting only once. She says she has a plan to help her mother find a new husband but never implements it. She opines about "how important it is to cry," and soon after "really wanted to cry," but later states she doesn't "like busting into tears." And though she shows awareness in her proclamation that "I have got to stop thinking in movies," she continues to envision television stories about her invented life.
For a teenager who always wants to "keep cool" and who purportedly plays "the autistic kid ... to protect myself," it makes sense that her actions as well as her "feelings were all muddled up and heavy inside me." Yet at the same time, these inconsistencies don't follow a path of growth, which leads to a lack of arc in the novel. The layering of times and events should build to a larger whole, one that presumably leads to change. And indeed Guène seems to intend this, especially with her device of starting the book with Doria in therapy, a process that inevitably leads to evolution. But other than abandonment and a struggle to survive, it's not clear what exactly is wrong with her, and thus how she could get better. Though some exterior elements are different at the end, there's no evidence of such change resulting from Doria's efforts or actions. Guène wants her to have moved forward, but she seems the same.
Even if the book doesn't quite pull off its aim, it makes a strong impression. Guène's sardonic yet positive narrator has an enduring ingenuousness and accessibility that are as disarming as the worlds to which she allows us access. Doria has "learned that it hurts to learn," but Guène offers a caveat -- hope. "Kiffe Kiffe Tomorrow" is a positive melding of an Arab phrase, meaning "same old, same old," with French to mean things are always getting better. More depth and consideration would have strengthened the novel, but its scope -- at once encompassing a look at the outsider, the teenager and the Arab immigrant -- is compelling, and reveals Guène to be a promising addition to the world's literary voices.
Christine Thomas reviews have appeared in the Times Literary Supplement and the New York Times Book Review.
July 23, 2006
KIFFE KIFFE TOMORROW
By Faïza Guène. Translated by Sarah Adams.
179 pp. Harvest/Harcourt. Paper, $13.
Review by LUCINDA ROSENFELD
Faïza Guèn’s slim but inspired first novel — already a hit in Europe — opens with a glossary. In it, we learn that the phrase “kif-kif” is Arabic for “same old, same old” or “it’s all the same.” The saying is also a refrain of the book’s charmingly sourpuss narrator, Doria, a 15-year-old Muslim girl living in a housing project outside Paris.
Doria has plenty of reasons to be bitter. Her father, frustrated by his wife’s failure to produce a son, has returned to Morocco in search of a new bride. To make ends meet, Doria’s illiterate mother, Yasmina, is reduced to cleaning rooms at a cheap motel where, in the words of her daughter, she flushes “the toilet after rich folks, all to be paid three times zero” and her supervisor never bothers to learn her real name. “It must really give Monsieur Winner a charge to call all the Arabs ‘Fatma,’ all the blacks ‘Mamadou’ and all the Chinese ‘Ping-Pong,’ ” Doria says in her caustic style. “Pretty freaking lame.” As Doria assesses the lives of her neighbors in the projects, she sees little evidence of success gained by means other than lottery tickets and crime.
Guène, who is of Algerian descent and wrote the book while still in her teens, knows her material. She grew up in a public housing project in Pantin, outside Paris. (The riots in France’s heavily Muslim suburbs last year are one reason the book got a lot of attention in the European press.)
But “Kiffe Kiffe Tomorrow” is not just a political tract. What makes it appealing is its sharply drawn profile of a precocious adolescent. In Sarah Adams’s highly colloquial translation, the narrator’s scorn extends to areas unrelated to the sociocultural circumstances of her family. A state-appointed shrink smells like “anti-lice shampoo.” A classmate enlisted to help Doria with her homework is a “fat loser.” A social worker has a “scary voice, the kind of voice you can imagine saying: ‘I am Death! Follow me, it’s your time!’ ” In this way and others — her propensity to daydream about Hollywood stars, her obsession with acne and breast size, her aversion to all traces of phoniness or unctuousness in others — Doria is a typical teenager. Occasionally, her carping evokes Holden Caufield. “I’ve had enough of school,” she announces. “It gets on my nerves and I don’t talk to anybody. Really, there are only two people I can talk to for real anywhere.”
Guène’s slang expressions, paired with the use of the present tense, occasionally make “Kiffe Kiffe Tomorrow” read more like a series of adolescent diary entries than a novel. Yet her dry wit elevates the book above juvenilia. “He’s always high and I think maybe that’s why I like him,” Doria says of a much-older, Rimbaud-spouting drug dealer on whom she harbors a secret crush. A family friend’s husband who spends half the year in Algeria with his second wife and the other half in France with his first, “knew how to hit the right balance, rein himself in. He does it part-time.” Riffing on the Arabic phrase “inshallah,” or “God willing,” Doria remarks, “But, thing is, you can’t ever know if God’s willing or not.” There are even hints of poetry. “Outside, it was gray like the color of our building’s concrete and it was drizzling in very fine drops, as if God were spitting on all of us,” Guène writes.
Perhaps the most startling aspect of “Kiffe Kiffe Tomorrow” is its heroine’s voluminous knowledge of American popular culture, particularly the schlocky programs she and presumably millions of others watch on French TV, including “Wheel of Fortune,” “The Price Is Right,” “The Young and the Restless” and “Who’s the Boss?” Who knew Tony Danza had made it big in the City of Light? As Doria says: “If they cut off our TV like they did with the phone, it will be too much. It’s all I have.”
By the novel’s end, Doria has begun to see that reality has far more to offer her than any hokey set-up on her television screen: a new school; a new job for her mother; even a first boyfriend, who inspires the pun that informs the book’s title. According to the glossary, the French verb “kiffer” means, more or less, “to be really crazy about something.” As she begins to enjoy at least some elements of her existence, Doria’s refrain changes, too — from bitter to hopeful, and also from Arabic to French. It’s unclear whether this means she’s become better disposed toward France. Either way, as Doria stops lamenting and starts living, the reader can’t help cheering.
Lucinda Rosenfeld is the author of the novels “What She Saw . . .” and “Why She Went Home.”
PETIT TRAITÉ TOPOGRAPHIQUE DU PANTIN D’UNE COLLEGIENNE
Ou la géographie affective de Faïza, 14 ans
Marie Gauthier
Ce texte, un portrait de Faïza Guène à l'âge de 14 ans, a été mis en ligne en 1999. Cinq ans, donc, avant la sortie de Kiffe Kiffe demain, écrit par elle, et paru chez Hachette Littérature en août 2004. Le remettre aujourd'hui à l'honneur est une façon pour nous de la saluer.
Je voudrais vous parler de ma cité sous son vrai jour. Pas comme les médias nous la montrent ou comme les différents clichés que l'on peut entendre. Il n'y a pas que du rap, des pitbulls, de la violence et des voyous. Bien sûr je ne dis pas du tout qu'il n'y en a pas, je vous mentirais. Je crois que les gens voient tout de suite les côtés négatifs et ne s'attardent pas à observer les effets positifs. J'ai l'impression qu'ils ne préfèrent pas le faire. Ça me rappelle une histoire de cerveau droit. J'ai appris ça dans mon cours d'arts plastiques. Se servir du cerveau droit perfectionne les capacités à voir les côtés cachés du dessin. Par exemple lorsqu'on dessine deux profils exactement pareils aux deux extrémités de la feuille, on se rend compte que ça forme un vase au milieu. J'essaie souvent de me servir de mon cerveau droit avec les gens que j'ai du mal à comprendre. C'est ma méthode. Peut-être que si tout le monde faisait la même chose, on se comprendrait mieux.
Faïza Guene
J'ai rencontré Faïza le mercredi 19 mai 1999 à la toute récente Maison de quartier de Pantin, cité des Courtillières, près du Fort d'Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis. Je m'y étais rendue pour assister à des ateliers théâtre et cinéma, un projet de reportage vaguement en tête, abandonné ensuite. Faïza, presque quatorze ans et collégienne de troisième, y réalisait un court-métrage, La zonzonnière, aidée des conseils de Julien, un intervenant rompu aux techniques cinématographiques. Elle avait écrit le scénario tout au long de l'année scolaire. Si sa bonne bouille un peu ronde m'était d'emblée sympathique, son calme apparent tranchait avec l'impérieuse nécessité de s'agiter qui animait les autres jeunes. Les cheveux tirés et une veste noire finement rayée de blanc ajoutaient une gravité qui pourtant n'avait rien d'austère. Faïza me rassurait.
Je venais d'assister à la projection de Petits frères,
de Jacques Doillon, un long-métrage tourné aux Courtillières. Faïza avait
également vu le film : "Le fait que l'héroïne ait un gun (pistolet) à quatorze
ans, ça m'a énervée. Les armes ne sont pas monnaie courante dans les banlieues
et encore moins à cet âge. Tout ça c'est pas réaliste et ça donne une image
encore plus sombre des cités." La jeune beur est bien plus dure avec un
reportage passé sur TF1 : "Les journalistes ont demandé aux jeunes de leur dire
des gros mots en argot des banlieues. C'était du n'importe quoi." Faïza refuse
la vision noire de la banlieue que certains médias - notamment l'audiovisuel -
aiment à conjuguer du vandalisme au crime, en passant par tous les trafics. La
jeune fille m'a décrit son quotidien dans un texte où elle marie avec pudeur
facétie, auto-dérision, gravité et volonté de ne pas baisser les bras. Son récit
écrit apparaîtra en bleu au fil de ce reportage-portrait. Durant deux mois, nous
avons échangé coups de téléphone et courriers. Nous nous sommes longuement
baladées ensemble. Aussi est-ce par le biais des lieux que fréquente Faïza que
je vais relater nos rencontres et ses propos.
Les Fonds d'Eaubonne
Une porte bleue. J'habite aux Fonds d'Eaubonne, c'est juste en face des Courtillières. C'est du pareil au même mais avec moins d'agitation... Ce sont de grands immeubles marron avec, à chaque étage, trois portes de trois couleurs différentes : rouge, verte et bleue. Ma porte est la bleue du troisième étage.
Faïza a toujours été Pantinoise. Il y a quelques années,
sa famille logeait dans un vieil immeuble, à présent détruit, près du métro
Aubervilliers-Pantin- Quatre-Chemins, juste à côté du parc de La Villette.
C'était moins gigantesque et plus urbain que la cité actuelle située, elle, au
nord de la commune, au-delà du cimetière parisien, métro Fort d'Aubervilliers.
"Mais l'appartement n'était pas aussi confortable que celui-ci où on nous a
relogés." Elle y vit avec son père, retraité des travaux publics, sa mère, qui
s'occupe d'elle, son petit frère et sa sœur, Mounia, âgée de seize ans.
"Question parents, dit-elle, lors de notre seconde rencontre, j'ai trop de la chance par rapport aux autres. Il y a plein de parents qui s'en vont au bled pendant quelques semaines en laissant leurs enfants seuls. Jamais mes parents ne nous abandonneraient ainsi. Et puis, il y en a qui donnent trop de choses à faire, surtout aux filles : le ménage, les courses..."
Plus tard : "Ils me font confiance, je peux aller et
venir. Ils savent que je respecte les règles, que je ne m'éloigne pas trop et ne
fais pas de bêtises."
Là-bas, l'Algérie.
"Mes parents sont d'Oran. Je dis tout le temps que je suis algérienne même si je suis née ici." Faïza espérait y aller cet été, voilà cinq ans qu'elle n'y a plus séjourné. Son père a cherché à se procurer des billets mais tous les vols étaient complets. "Là-bas, poursuit-elle, j'ai des cousines qui sont nées en 86 et 84. Moi je suis née en 1985 et ma sœur Mounia est de 1983. On s'écrit. L'année prochaine, je vais étudier l'arabe littéraire au lycée. J'espère que, dès la fin de l'année de seconde, j'arriverais à lire au moins une page du Coran et à écrire une lettre en arabe à ma famille."
Ne craint-elle pas les troubles de ces dernières années ?
"Avec le nouveau président (Abdelaziz Bouteflika), ça devrait aller mieux. Il
est bien." Une preuve ? "Le concert de Cheb Mami à Alger. C'était la première
fois depuis des années qu'il y retournait. On a écouté la retransmission sur une
chaîne captée par satellite." Aimerait-elle y vivre? "Mon père pense que c'est
mieux pour les études de rester ici. Moi j'aimerais mieux vivre là-bas, c'est
plus gai."
La cité des Courtillières
Le labyrinthe. Les Courtillières ont été conçues par un architecte ingénieux, dans les années 50 : un joli serpentin bleu et rose qui entoure un parc...
Un jardin d'Eden ? "Ce rose et ce bleu, c'est trop", dit-elle, rigolarde. "La première fois que j'ai traversé les Courtillières pour me rendre au collège Jean-Jaurès, j'ai cru que je n'arriverais jamais à me repérer." Un sentiment très partagé... J'avais rendez-vous avec elle dans ce même établissement scolaire. Nous avions déjà fait des repérages. Elle m'avait réexpliqué le chemin au téléphone. Mais j'avais néanmoins prévu une marge de vingt minutes pour être sûre d'arriver à l'heure. Entre un immeuble bleu ciel écaillé ponctué de paraboles et celui tout aussi courbe de la rue opposée, difficile de faire la différence, d'autant que les passages aménagés sous les bâtiments s'ouvrent sur la même pelouse rase à force de servir de terrain de foot. Un vrai labyrinthe qui doit rendre de bons services, à l'occasion... Mais Faïza est depuis longtemps une initiée. Elle salue quasiment tous les passants, fait la bise ou tend la main : "Les vieux m'aiment bien parce que je suis polie. Et les jeunes me respectent."
Les prisonnières des ragots. La vie dans la cité est importante, elle influe sur tout et tient le rôle principal. D'abord, les rumeurs. Il y a une certaine catégorie de gens, qu'on appelle familièrement les commères, qui se nourrissent de ces ragots et les recrachent ensuite partout où elles passent. Car ici, le bruit ne court pas, il se tape un sprint à la Carl Lewis. Et je me demande si l'inventeur du téléphone arabe n'est pas né aux Courtillières. Cela explique pourquoi certaines filles sont condamnées à rester chez elles pour aider leur mère. Elles sont en quelque sorte protégées du regard des autres et surtout de leurs médisances. Aucun père n'aimerait que l'on parle de sa fille partout et en mal, évidemment. Ainsi, il l'enferme parce qu'il refuse qu'elle ait une réputation de traîneuse. Mais est-ce la bonne solution ? Est-ce que ce que pensent et disent les autres compte vraiment ? Est-ce que ça a de l'importance au point de rendre sa propre fille malheureuse ? Je ne pense pas. Mais chacun fait comme bon lui semble, non ? Ce qui prouve que le regard des autres est important ici. Que c'est un juge.
Les garçons, eux, s'accordent bien des liberté : une inégalité des sexes qui a inspiré le sujet du court-métrage qu'elle réalise à la Maison de quartier : La Zonzonnière (de zonzon : prison). L'argument : une ado a été surprise par son frère allant en cachette au cinéma. Il moucharde auprès du père, qui enferme sa fille. Le grand frère, lui, a tous les droits et fait ce qu'il veut.
Scène de rue.
Début juillet, en milieu d'après-midi. L'atelier vidéo de
la Maison de quartier de Pantin est en tournage devant un bloc des Courtillières,
en face du collège Jean-Jaurès. La Zonzonnière Samira, quinze ans, d'origine
marocaine, est collégienne dans la classe de Faïza. Une grande fille mince dans
son survêtement Eden Park bleu marine. Lui aussi du Maroc, Monsieur Hamdani, la
cinquantaine, a accepté de lui tenir lieu de père, le temps de la fiction. Sitôt
l'équipe sommairement installée, les copines de Samira, sans doute au parfum,
rappliquent et se campent de l'autre côté de la rue. "Samira, il faut que je te
parle, lance le père au pied de l'immeuble. Où étais-tu passée ? J'ai téléphoné
au collège. On m'a dit que tu n'y étais pas. Ton frère me l'avait déjà dit."
Et Samira de s'étouffer de rire avant d'avoir à prononcer les premiers mots de
la réplique. Les groupies s'esclaffent. Julien a sorti la caméra : le public est
de plus en plus dense. Des gamins de cinq ans aux mères de famille, tout le
monde y va de sa remarque. L'ambiance est bon enfant. Faïza, rouge d'excitation,
se marre avec les uns et reprend son sérieux avec les autres. Le père hausse le
ton devant les balbutiements mensongers de sa fille, l'admoneste en l'entraînant
à l'intérieur de l'immeuble. Samira pouffe une nouvelle fois : "Je n'y
arriverais pas, vous ressemblez trop à mon père", lance-t-elle, entrecoupant ses
phrases de mots arabes. Sur l'autre trottoir, les adolescentes applaudissent :
Monsieur Hamdani est vraiment convaincant. Julien, même si l'euphorie générale
le fait sourire, ne fixera plus de séquence de tournage à une heure aussi
passante...
Le collège Jean-Jaurès
Caméra et interphone. Le collège Jean-Jaurès de
Pantin est une enceinte où les secrets restent bien gardés, où le silence est
d'or et où il ne faut jamais cramer les blases
(divulguer les noms). Surtout pas, sinon
vous devenez une poucave. C'est une chose qu'il ne faut pas être ici, mais le
choix est vaste : bouffon, suceur, tête, caillera, perturbateur, boss...
Voilà déjà quatre ans que je suis dans ce collège. Malgré ça, il m'arrive
d'avoir peur. Le pire, c'est que je ne sais pas précisément de quoi. Je suppose
que c'est normal, je l'espère. Néanmoins, je m'inquiète car je sens que ça
dégénère de plus en plus. Les agressions répétées et des conseils de discipline
parfois injustifiés.
Une enceinte, Faïza ne croit pas si bien dire. Quelques
jours après qu'elle m'a fait parvenir ce texte, nous avons rendez-vous au centre
de documentation du collège : sa professeur d'anglais anime un petit journal
relatant la vie de l'établissement mais aussi celle de la cité, et je suis
invitée à y participer. L'entrée de la cour de ce bâtiment standard est bouclée.
Une caméra vient juste d'être installée et me filme alors que, par l'interphone,
je décline mon nom et les raisons de ma visite. A la sortie des classes, un
jeune homme baraqué veille à ce qu'aucun étranger ne s'introduise dans
l'établissement, prêt à s'interposer en cas de grabuge. "Ça dégénère, parce que
les petits (douze-treize ans) commettent les mêmes bêtises que leurs grands
frères. Je ne sais pas ce que ça donnera lorsqu'ils auront dix-sept ans..."
Une voiture crame.
Au rendez-vous suivant, j'évoque à nouveau la violence au
collège. Alors, elle me raconte : "C'était en octobre, en plein conseil de
classe, que la voiture a cramé. On a entendu une explosion. Tous les profs sont
allés aux fenêtres. Moi aussi. La principale est d'abord restée assise puis elle
est partie voir. Elle a dit, très calme, que c'était la sienne. Elle en était à
sa deuxième voiture brûlée... Depuis, elle utilise la caisse du collège. J'étais
très énervée, en colère." Faïza, déléguée de 3ème2, poursuit : "Les profs ont
fait grève, le maire de Pantin a tenu un discours devant le gymnase. Il y a eu
une réunion de tous les délégués de classe pour mettre en place des initiatives
en liaison avec "Stop la violence". Mais la fois suivante, nous n'étions plus
que trois." "Deux ou trois profs ont par ailleurs été agressés lors de l'année
scolaire 1998-99", rajoute-t-elle.
Les filles sont des têtes.
Le manque de motivation de la plupart des jeunes et de
leurs parents pour les études et l'acquisition de connaissances de base
n'améliorent pas l'ambiance. "Même dans ma classe de 3ème2 où sont réunis les
meilleurs élèves, il y en a qui ne visent pas loin. Dès qu'ils ont la moyenne,
ils sont contents" : c'est la bonne élève qui prend à présent la parole. Dans sa
classe, ils étaient vingt-quatre originaires du Maghreb, de Mauritanie, des
Dom-Tom, de France métropolitaine, du Cameroun, du Mali, du Sénégal ou encore
d'Inde. Vingt-quatre mais seulement quatre garçons. Immaturité de ces derniers,
revers du machisme des grands frères qui prennent leurs sœurs pour des
servantes, le bénéfice pour les filles d'une privation de sorties ou simplement
leur espoir de pouvoir s'en sortir par le biais rassurant d'une bonne
profession, loin des trafics de tous acabits ? "Du fait qu'ils sont
minoritaires, les garçons de ma classe se la jouent moins petite frappe."
La solitude de la bonne élève.
Avec une année d'avance, cumulant les bonnes notes, surtout en français, lisant à treize ans Les Mots, de Jean-Paul Sartre, Faïza se sent quelque peu seule :
Parfois, il m'arrive de me sentir rejetée ou
peut-être pas assez écoutée. Et ce sentiment est partagé par d'autres élèves.
J'en arrivais quelques fois à me demander s'il fallait être insolent et
perturber les cours pour enfin se faire remarquer. Peut-être croient-ils que les
bons - ou assez bons - élèves n'ont jamais de problèmes et qu'ils n'ont rien à
dire ? Ils se trompent complètement. C'est sans doute ceux qui ont le plus
besoin de parler avec, paradoxalement, les élèves en difficulté. Malgré des
attitudes opposées, le besoin que l'on ressent est le même. Pas de disponibilité
pour les élèves. Mais dire aux profs qu'on a besoin de leur parler, n'est-ce pas
une façon de leur avouer, malgré notre
orgueil naturel, que l'on a vraiment besoin d'eux. C'est dommage qu'ils ne le
comprennent pas quelquefois...
La Maison de quartier
Ouverte en octobre 1998, la Maison de quartier des
Courtillières est notre lieu de rendez-vous favori : Faïza peut y traîner à son
aise. En dehors des jours de classe, elle la fréquente quasi quotidiennement. Le
samedi elle participe à un cours d'art plastique pour adultes, le mercredi à
l'atelier vidéo et les autres jours elle y pioche ses lectures à la
bibliothèque. "La Maison de quartier était fermée le week-end de la Pentecôte.
Je ne savais où aller pour sortir. C'était vraiment pas drôle."
Lieu d'activités, de discussions ou simplement de passage,
l'architecture conçue par Suzel Brout paraît bien adaptée aux besoins des
Pantinois : on y rentre comme dans un moulin. Les salles, toujours dotées d'un
mur de verre, permettent aux jeunes qui ne participent pas aux ateliers de voir
où sont leurs copains, de venir éventuellement leur dire un mot. Ce qui ne peut
que les inciter à s'y inscrire. Un sac à la main rempli de salades fraîchement
cueillies dans sa parcelle de jardin ouvrier, juste de l'autre côté de l'avenue
Jean-Jaurès, une mère de famille africaine échange des conseils de jardinage
avec un retraité. Plus loin, des jeunes bavardent assis autour d'une table dans
le grand hall de verre…
Carrefour et sa galerie commerciale
à Drancy
Le no man's land.
Si Faïza a envie de sortir, le supermarché Carrefour de
Drancy est l'alternative à la Maison de quartier. Elle aime y flâner avec sa
mère ou une copine. Nous y sommes allées à deux reprises. Après les
Courtillières, il faut cheminer dans une zone commerciale ou industrielle encore
inoccupée. Un rond-point, des routes goudronnées. Par-ci par-là, dans les herbes
folles, des gravats, un matelas défoncé, une affiche pour une lointaine campagne
électorale de Jean-Marie Le Pen : "Tu te rends compte, le Front national avait
placardé des affiches en plein dans la cité des Courtillières, ils sont vraiment
gonflés !" Des panneaux indiquent le nom des rues. Nous sommes dans le no
man's land, tour à tour dans les marchés de Pantin, Bobigny et Drancy. Puis
un grand parking et un MacDo. Première halte pour manger des hamburgers. Faïza
n'en prend qu'au poisson, respectueuse des règles musulmanes. Elle connaît la
carte par cœur et obtient des réductions avec une carte de transport scolaire.
Nous buvons du Coca et trempons les frites dans le ketchup. Faïza balaie du
regard les personnes attablées et me dresse la liste des habitants de sa cité,
sans commérage. C'est la fin de l'année scolaire : le brevet en poche, le
tournage du court-métrage est achevé, sa jambe cassée lors d'une sortie vélo
n'est plus qu'un mauvais souvenir dont elle ne garde aucune claudication. Un peu
désœuvrée, elle ne savoure pas encore les vacances. Nous demeurons souvent
silencieuses.
Game boy et Adidas.
Sans hâte pour cette deuxième balade à Carrefour, comme la première fois, nous nous rendons dans une boutique de jeux interactifs. Elle songe à l'anniversaire de son petit frère qui a une console. Repérage des nouveautés, des prix, des jeux d'occasion. Elle lui offrirait aussi volontiers un maillot de l'équipe de France de football ou de l'OM. Nous passons donc à la boutique de sport de la galerie commerciale : "Ici, c'est le top pour l'habillement." Les jeunes des Courtillières viennent y regarder ou acheter vêtements et chaussures de marque. Faïza s'attarde devant des tennis blanches aux fameuses trois bandes, qui, dans ce modèle, sont vert bouteille verni. "Personne dans la cité ne les porte. C'est original." Le prix avoisine les 500 F. Au-delà de la somme, ce genre d'achat est inconcevable d'autant plus que pour la tenue vestimentaire, il faut faire comme tout le monde, sinon vous êtes exclu et on ne vous admet pas dans le clan. C'est la marque qui compte. Pas la couleur ou la forme : la marque. Mais tout le monde ne se plie pas à cette règle, heureusement d'ailleurs. Il reste des gens qui gardent leur personnalité et s'habillent comme ils l'entendent. Même si c'est sans marque et bon marché, l'important c'est d'être à l'aise dedans.
Les stylos.
Ce n'est que la seconde fois mais c'est déjà un rituel :
se rendre au rayon stylos de Carrefour. Faïza en est un tantinet maniaque. Après
l'examen de boîte de perles, de tubes d'huile, de châssis, nous restons
presqu'une heure dans le rayon. Elle m'explique la douceur de certains feutres,
la sécheresse des plumes de telle ou telle marque, etc. Elle me recommande un
stylo à plume à un peu plus de neuf francs non rechargeable aux encres
fantaisie, du rose au turquoise. J'opte la première fois pour le sépia, la
seconde pour un Parker sobre. Faïza trouve une nouvelle marque de feutres. Je
lui en offre. "Chaque nouveau stylo qui me convient, me donne du courage pour
entamer un travail." Depuis, elle ne m'écrit qu'avec un roller bleu et je lui
réponds en sépia.
Epilogue
Nous revenons de Carrefour, stylos dans le sac. Le collège ne fera plus partie de son quotidien. A la rentrée, Faïza prendra le bus ou le métro pour suivre ses cours au lycée Marcelin-Berthelot à Pantin-Quatre-Chemins. Elle a été convoquée chez le proviseur : au vu de ses excellents résultats scolaires, elle intégrera une seconde européenne. Même si elle ne se la joue pas et ne crie pas la nouvelle sur les toits, elle est flattée, d'autant qu'aucun autre collégien de Jaurès n'a reçu une telle proposition, ce qu'elle déplore. Un nouvel univers s'ouvre à la jeune beur.
Petite, elle rêvait d'être présidente de la République. Adolescente, elle est plus attirée par le journalisme audiovisuel ou la peinture. Du haut de ses quatorze ans idéalistes, elle aimerait devenir célèbre, pour elle-même et sa famille, mais aussi pour redorer le blason des Courtillières et y insuffler un peu d'espoir. Sans avoir bougé de Pantin, Faïza est déjà une "passeuse" entre la "zone urbaine sensible" et l'autre monde. Elle va s'énerver en lisant ces dernières lignes, elle qui par principe refuse l'idée de la fracture sociale. Je la remercie de m'avoir guidée dans sa cité.
Petit traité topographique du Pantin d'une collégienne/ Marie Gauthier
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